“Un Démocrate” explosif qui n’a pas pris une ride
©Philippe-Rocher.
Au Théâtre de la Concorde, tout récemment rénové et rebaptisé par la Mairie de Paris, pour faire de l’art un espace de réflexion et de résistance contre les illusions simplistes, Julie Timmerman reprend le spectacle phare de la compagnie, « Un Démocrate », qui retrace le parcours d’Edward Bernays et l’invention de la propagande publicitaire et politique. Explosif et terriblement actuel !
De Lucky Strike à Goebbels

©Philippe-Rocher
Comment, sur un plateau de théâtre, avec une simple table, des projecteurs, et quatre acteurs aussi virtuoses qu’électriques, peut-on parler d’une invention démoniaque qui a transformé la société mondiale dans les années 1920 ? L’Américain Edward Bernays, par ailleurs neveu de Sigmund Freud, avait finement analysé la psychologie des masses et le comportement de chaque individu, sitôt qu’il se trouve immergé dans un groupe humain. Il avait lu le célèbre ouvrage de Gustave Lebon, Psychologie des foules (1895) qui expliquait comment l’opinion publique peut se construire à travers une foule d’humains qui se mettent à partager les mêmes idées… et à perdre leur libre-arbitre. A partir de ce constat, le cynique Bernays invente « la fabrique du consentement », véritable manipulation mentale qui va indifféremment servir à vendre des savons, des cigarettes ou des présidents. Il y explique que ceux qui sont capables d’influencer des masses parviendront au pouvoir. Joseph Goebbels, ministre de la propagande d’Hitler, l’avait parfaitement compris. Mais à l’époque du fordisme et de la standardisation des produits manufacturés, le mot d’ordre de la société américaine était, et est toujours : VENDRE. Et quand la puissante American Tobacco Compagny se plaint des faibles ventes de cigarettes auprès des femmes, Bernays lance la firme Lucky Strike dans une gigantesque campagne publicitaire, affiches, télévision et cinéma, pour faire de la cigarette un instrument de libération et de stimuli sexuel des femmes. A l’instar des hommes, femmes et actrices se mettent à fumer, et peu importe si la courbe des cancers liés au tabac commence à s’emballer. La propagande a marché, et Bernays, parle à l’oreille de tous les puissants.
Théâtre brechtien

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A la manière d’un documentaire enlevé, avec photos et affiches, on se retrouve dans la famille de Bernays, ou dans un cabaret de Las Vegas : avec trois fois rien, une table qui sert de podium et des chapeaux de cow boys, les quatre comédiens rivalisent de talent et d’énergie à la manière d’un cabaret burlesque, épique et politique, aussi drôle qu’instructif, aussi burlesque que tragique. Car le neveu de Sigmund Freud, qui avait appris de son oncle la finesse de l’analyse psychique et de l’inconscient, a même contribué à renverser le président démocratiquement élu au Guatemala en 1954, avec l’aide de la puissante multinationale de bananes United Fruit Company et de l’armée. Sur scène, la parole de Bernays est alternativement prise en charge par tous les comédiens, signifiant ainsi, face au public, que la propagande n’épargne personne. Fake news, sondages truqués, révélations dissimulées, presse rachetée par des consortiums financiers, les sujets abordés dans ce spectacle qui va à cent à l’heure percutent, plus que jamais aujourd’hui, notre actualité mondiale. Anne Cressent, Julie Timmerman, Mathieu Desfemmes et Guillaume Fafiotte, en alternance avec Jean-Baptiste Verquin, interprètent une vingtaine de personnages hauts en couleurs dans des lumières signées Philippe Sazerat qui sculptent l’espace. C’est une réussite, recommandée aussi pour les jeunes spectateurs.
Helène Kuttner
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